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 L'hôpital abandonné.

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Napalm Dave
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MessageSujet: L'hôpital abandonné.   L'hôpital abandonné. Icon_minitimeLun 30 Oct à 15:18

C'est pour l'instant mon projet de nouvelle le plus abouti, je devrais le faire figurer dans un recueil intitulé "contes d'outre plan".

L’hôpital abandonné

C’est un lieu vraiment très particulier, on ne peut pas dire qu’il soit secret, mais il est peu connu. Vous pourrez le voir depuis la départementale, si vous êtes attentifs : il est en partie dissimulé par les arbres. Mais soudain il en émerge, comme par magie, et c’est souvent par un coup d’œil par dessus l’épaule, ou dans le rétroviseur, que l’on s’aperçoit qu’il est là, dans le paysage. Bien sûr, vous le verrez bien mieux si vous empruntez l’autre voie, là, vous serez sûr de ne pas le rater ; mais il est très rare que les gens utilisent encore cette route pour remonter en direction de Paris ou d’Orléans. Les gens sont si pressés, veulent toujours rouler plus vite et gagner toujours plus de temps. Peut-être veulent ils gagner toujours plus de minutes de vie, si précieuses ? Dans ce cas là, je les comprends !

Quand vous le verrez, vous serez tout de suite très surpris, captivés même, je l’espère ! Il faut dire qu’il ne passe pas inaperçu avec son architecture bizarre ; je n’ai pas beaucoup de culture, il faut m’excuser, mais je dirais qu’il ressemble à un mélange entre une basilique et une église orthodoxe. Quelque part, je crois que je ne dois pas être loin du vrai car c’est aussi ce qu’il évoque aux visiteurs, mais il y en a de moins en moins malheureusement, je m’ennuie tellement parfois !
Enfin bon, comme je vous le disais, il a quelque chose d’oriental ce bâtiment, avec ses cinq tours, et ses toits noirs en forme de coupoles. Par miracle, la flèche d’or du clocher est restée intacte, ainsi que les lettres de la façade. Au crépuscule, le soleil vient fondre dessus et laisse son empreinte éblouissante durant de longues minutes avant de disparaître derrière les cimes. Alors là, rien ne peut empêcher l’obscurité d’envahir chaque recoin et de transformer la pinède, si bien rangée, en une masse sombre et impénétrable. Surtout qu’avec le temps, les ronces et la broussaille ont colonisé, pour ainsi dire, la moindre surface de sous-bois. C’est le repaire des bêtes la nuit, enfin sauf quand je suis là, je crois qu’elles me sentent arriver, c’est dommage…
Quand on s’approche, on peut admirer les grandes fenêtres, la porte à doubles venteaux, toute noire elle aussi, et ses hautes arcades en tuffaut. Malgré la vétusté et le laisser-aller, ça impressionne toujours les curieux, et heureusement, il en vient encore de temps en temps ! Je les vois venir depuis la route ; lorsqu’ils approchent, ils ouvrent de grands yeux ébahis et ils arrêtent leurs voitures pour aller voir de plus près. Ils ne s’attendent certainement pas à ça, eux qui ont roulé sans voir autre chose pendant des kilomètres que des bosquets, des champs entourés de vieilles clôtures usées, et de temps à autre, un taudis. L’hôpital, lui, tranche carrément avec tout ça ! On dirait que les pauvres maisons qui l’entourent se tiennent à distance respectable, recroquevillées sur elles-mêmes. Les gens du coin n’aiment pas beaucoup les étrangers, vous savez ? Ils sont allergiques aux visites et voudraient bien que l’on se dépêche de démolir ce qu’ils appellent l’ « hôpital abandonné ».

Pourtant, il n’est pas vraiment abandonné cet hôpital, car il appartient à quelqu’un : le vieux. Cet homme là, c’est la crème des hommes, pas comme sa châtelaine ! Mais elle, je vous en reparlerai plus tard. Dans un passé plus glorieux, il a été préfet ou commissaire de la république, enfin quelque chose comme ça. Il a acheté ce terrain pour sa retraite, et dessus, il y avait l’hôpital. Et il l’aime son hôpital, ah ça oui ! Bien plus que sa maison d’ailleurs. Il en parle avec passion à qui veut bien l’entendre, donc pas à la châtelaine! Elle, elle a plein de projets pour ce terrain. En fait je crois qu’elle a commencé à en faire avant de se marier des projets, et qu’elle attend qu’il crève pour tous les réaliser. Vous l’aurez compris, je ne l’aime pas celle là ! Et vous comprendrez vite pourquoi.

Mais d’abord, je ne me suis pas présenté, je m’appelle Ludo, Ludovic Simoni, petit garçon de mon état. Et d’ailleurs ça ne risque plus de changer vu que je suis mort.
Ca vous choque sans doute, un mort qui parle et qui pense, mais on s’habitue vite, vous savez ! Si j’étais d’humeur taquine, je vous dirais que je mange les pissenlits par la racine, sauf que c’est une image, car de mon corps, il ne reste sans doute plus grand-chose. Il repose du côté d’Amiens car c’est de là que viennent mes parents ; s’ils sont encore en vie, ils sont certainement très vieux, mais de cela, je ne peux en être sûr car je ne peux pas quitter le vieil hôpital et son parc. Si je m’éloignais trop derrière les grands pins où les gens garent parfois leurs autos, je pense que je disparaîtrais, c’est aussi bête que ça…Pour aller où d’ailleurs ? Je n’en sais rien et je ne préfère pas le savoir d’ailleurs.
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MessageSujet: Re: L'hôpital abandonné.   L'hôpital abandonné. Icon_minitimeLun 30 Oct à 15:19

De toute façon, je suis bien mieux là, à écouter les oiseaux, au loin, et à regarder l’étang qui clapote et se ridule lorsque les poissons nagent à la surface. Il y en a du monde là-dessous, moi je vous le dis ! Ca grouille, ça frétille ! Au point que parfois, il y a des jeunes qui viennent la nuit avec des cannes et des nasses pour en choper quelques uns ! Ca fait enrager la châtelaine, bien sûr, donc ça me fait rire !
Ca me fait de la visite aussi, je voudrais tellement leur parler, mais je ne peux pas. J’ai beau m’agiter, crier, leur parler à l’oreille, rien n’y fait ! Ils ne me voient pas, ils ne m’entendent pas… Comment vous dire, je suis une ombre, un spectre, un fantôme si vous préférez ! Je pense que j’ai toujours un corps, ou une sorte de corps, car je me vois toujours. Pas dans les miroirs, non, il y en a encore plein à l’intérieur du vieil hôpital, mais je vois mes bras, mes jambes, mes mains ! Je suis toujours dans ce beau costume avec lequel on m’a mis en terre. Mes parents m’ont gâté pour mon dernier voyage, s’ils avaient su, ils m’auraient sans doute laissé manger plus de bonbons !

Quelques fois quand même, quand je me concentre, j’arrive à produire quelque chose : un souffle, un son, un objet qui se déplace. Mais je dois penser très fort pour cela. Enfin bon, en quarante-deux ans, j’ai eu le temps de m’exercer ! C’est pour cela aussi que je vous parle en adulte, car avec le temps, j’ai pu mûrir, écouter et apprendre de nouveaux mots. J’écoute parler les visiteurs, je les suis, je les accompagne dans le parc !
Et puis il y a aussi la vieille bibliothèque de l’hôpital. J’arrive à tourner les pages des livres avec un peu d’effort, je feuillette tous les vieux romans, tous les gros dictionnaires…Ca m’aide un petit peu, et puis vu que je suis mort, je ne suis plus fatigué quand je lis, vous voyez ?
Malheureusement, les bouquins, le vieux les laisse moisir ici, dans des cartons ou sur des étagères branlantes, toutes pourries. Les livres, bientôt, il n’en restera plus rien, et ça, ça me rend triste ! L’autre jour, la châtelaine a voulu bouger les cartons, mais elle s’est prise une encyclopédie sur le crâne ! Je n’aime pas faire du mal aux gens, mais la bibliothèque, c’est mon univers, alors je ne la laisse pas s’approcher, non, je ne la laisserai pas faire un feu de joie avec ce qui reste !

Mais je ne sais pas pourquoi je suis toujours là, ni comment j’arrive à faire cela. Je suppose que je dois évoluer dans une sorte de monde parallèle comme on dit, et que je ne peux pas en sortir. C’est toujours mieux que d’aller je ne sais trop où, au paradis ou en enfer, pour l’éternité. Au moins ici, je sais où je suis, c’est là que je suis mort. J’occupais la chambre 126, tout en haut, de là je pouvais voir l’étang et les autres pensionnaires qui se promenaient. A l’époque, c’étaient eux qui ressemblaient à des fantômes à errer comme ça dans le parc, dans leurs pyjamas blancs. C’était en 1964, je me rappelle, une drôle de maladie m’avait cloué au lit et avait emporté toutes mes forces. Une leucémie ou quelque chose comme ça, oui je crois bien que c’était ça ! Si vous saviez comme ça fait mal, mal partout, on dirait qu’on vous compresse de l’intérieur, comme un poing invisible, puis plus rien… On m’a amené ici et injecté des substances qui font dormir tout le temps. Et là, je n’ai plus rien senti, jusque à la fin. Et me voici, toujours là, un bien encombrant locataire livré avec les murs !

Je fais peur à la châtelaine je pense, elle n’ose pas le dire à son vieux mari mais je crois qu’elle sent bien que je suis là. Depuis le temps que je l’ennuie avec mes manifestations, elle doit se douter de quelque chose ou alors elle est incurablement stupide. Mais elle n’a pas envie de passer pour une folle, qu’est-ce qu’elle ne ferait pas pour sauvegarder les apparences ! Il faut dire qu’elle n’est plus toute jeune, même si elle a au moins vingt ans de moins que le vieux.
Elle déambule souvent, en jogging, avec ses bottes cuissardes et toujours flanquée de ses deux chiens. Elle patrouille, jalouse vicomtesse d’un domaine sans paysans, elle est la baronne des biches, des daims, des lapins qui fuient, des poissons qui s’agitent sous la surface de l’eau et des scarabées cropophages qui grouillent entre les gravats de l’hôpital abandonné. Elle voudrait bien en surprendre des visiteurs du soir ! Mais c’est rare qu’elle y arrive, ils sont trop malins, trop rapides pour elle, et de toute façon, ils viennent toujours en nombre. M’est avis que ses toutous n’impressionnent personne, ils sont bien trop gentils, et tout ce qu’elle récoltera un jour à faire la chasse aux squatteurs, c’est un sale quart d’heure !

Je sais de quoi je parle, j’en ai surpris un jour des lascars comme ça. Ils étaient venus avec une fille, c’était clair qu’ils avaient quelque chose derrière la tête, mais elle les a quand même suivis à l’intérieur. La châtelaine met régulièrement des chaînes, des planches et des cadenas aux portes. Peu importe, ils trouvent toujours le moyen d’entrer : par les fenêtres, par les issues de secours, par la grande porte même parfois ! Avec des pieds de biche, des coins de bois, des coupe boulons, ils viennent en force et ils défont tous les verrous dérisoires, encore et encore…J’aimerais tellement lui dire que ça ne sert à rien.
Donc cette nuit là, après avoir joué avec des capsules et fumé ces drôles de cigares douteux, ils ont commencé à être méchants avec la fille, très méchants. Ils lui ont dit des sales mots, et c’est clair qu’ils allaient lui faire du mal. Là je me suis senti obligé d’intervenir, je ne conçois pas qu’on fasse du mal à une fille, surtout pas à une copine ! Ils n’ont pas du comprendre, déjà, quand j’ai fait vibrer les murs de la pièce, ils ont commencé à avoir peur, mais vous auriez vu leurs têtes lorsque je leur ai envoyé des pierres dans les genoux ! Là ils ont couru, et c’était bien fait pour eux ! Je les ai même poursuivis jusque à la voiture ! A mon retour, la fille avait disparu…
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MessageSujet: Re: L'hôpital abandonné.   L'hôpital abandonné. Icon_minitimeLun 30 Oct à 15:20

Pourtant, je n’aime pas faire peur aux gens, mais défois, il faut me comprendre, je ne peux pas rester spectateur. La plupart du temps, quand je fais peur, c’est involontaire. Les derniers à être venus pour la pêche, ils avaient l’air gentils, alors j’ai essayé de leur dire bonjour. Mais vous savez, c’est un peu comme dans ces rêves où l’on arrive pas à crier : on s’époumone et on est paralysé, il y a juste un souffle qui sort. Et je pense que c’est ce qu’ils ont entendu, un souffle venu de nulle part, car ils se sont tous regardés, effrayés ! Il y en a un qui a été assez courageux pour chercher un animal, une machette dans une main et une lampe torche dans l’autre. Puis ils sont tous partis, ils étaient blêmes, et moi ça m’a rendu triste…

C’est pour ça maintenant, lorsqu’il y a des gens que j’apprécie, je n’essaie plus tellement de communiquer, je ne fais juste que regarder !
Par exemple, il y a ces enfants qui viennent régulièrement. Ils sont tout petits, ils arrivent à s’approcher discrètement du vieil hôpital, invisibles dans les hautes herbes. Ils entrent par un soupirail, ils sont vraiment tout petits je vous dis, ils ont leur cachette dans les sous sols, là où autrefois on conduisait les morts comme moi ! Mais il n’y reste plus rien, que des vestiges de meubles blancs gonflés par l’humidité, des lavabos hors d’usage et des bouts de ferraille jonchant le sol.
Ils en ont fait un bel endroit, les enfants ! Ils ont amené de tout, des bougies qui ressemblent furieusement à des cierges, des assiettes en carton, de la dînette, et même leurs jouets favoris. Poupées, peluches et figurines, voici les nouveaux pensionnaires qui dorment dans le vieil hôpital ! Dans une ancienne morgue transformée en chapelle, ils reposent et attendent le retour de leurs petits maîtres, car avec tous ces bougeoirs improvisés, ces posters collés ça et là, et ces planches de fornica installées pour recevoir le goûter rituel, le premier entresol ressemble maintenant à une chapelle, naïve, mais décorée avec charme. Oh bien sûr, il y avait une vraie chapelle ici, au deuxième étage de la plus haute tour, avec ses boiseries, ses statuettes, et ses tableaux. C’est là que mes parents passaient le plus clair de leur temps sur ma fin, surtout ma mère en fait. Mais il ne reste plus grand-chose, on a enlevé tout ce qui avait de la valeur avant de fermer définitivement l’établissement.
J’aime la visite des enfants, ça remet un peu de vie dans le vieil hôpital. Mais je sais comment ça finit : au bout d’un moment, ils deviennent trop grands pour entrer par le soupirail, ils se lassent, délaissent leur chapelle improvisée pour d’autres endroits, d’autres préoccupations. Poupées et peluches lentement pourrissent, les figurines sont alors oubliées et peuvent dormir des mois, des années dans la pénombre, jusqu’à ce que d’autres enfants les retrouvent. Alors peuvent elles espérer une seconde vie, pas comme moi…

Moi je reste spectateur de cet hôpital devenu mausolée, je suis une conscience qui peut voir et entendre. Je perçois même les émotions et les battements de cœur, pauvre spectre, je ressens aussi ce qui est caché. Mais je peux à peine agir. Je suis loin d’être le seul à être mort ici, mais je suis le seul à être resté. Ne me demandez pas pourquoi, je suis incapable de vous l’expliquer, moi aussi je ne suis qu’un enfant après tout !
Oh oui, il yen a des gens à venir ici pour des sensations fortes, de grands frissons. Ca attire les jeunes ce genre d’endroits, vous savez ? Et les jeunes sont attirés par la mort, quoiqu’ils en disent. La mort les fascine autant qu’elle les effraie, ils la haïssent mais ils essaient toujours de l’approcher le plus possible : toujours plus de défonce, toujours plus de vitesse… Ils la défient en l’esquivant au dernier moment, quelques fois ils se ratent !
Si je pouvais leur parler, je leur dirai qu’il n’y a rien à attendre de la mort, c’est si ennuyeux ! Pas horrible non, ce n’est pas douloureux non plus, c’est encore moins libérateur, juste ennuyeux. Mais ils ne peuvent pas comprendre, ils voient ça du côté où l’on ne peut rien savoir !
Combien de fois en ai-je vu chercher des ossements, des cendres, ou encore des bocaux de formol remplis de je ne sais quoi ? Mais que s’imaginent-ils trouver ? Car bien sûr, ils ont tout emmené avant de partir, ils n’ont laissé ici que ce qu’ils n’avaient pas besoin d’emporter. Même les fours ne renferment plus rien de macabre ou d’« intéressant », moi-même je n’ai pas de restes ici, je ne suis qu’une empreinte, voyez vous ?

Ca donne quand même l’occasion de prendre contact, ce genre de visites. Je me rappelle d’une fois où un groupe est entré, ils étaient six ou sept je crois, avec des croix, des bougies et une drôle de planche pleine de symboles gravés. Du spiritisme qu’ils appelaient ça, jamais entendu parler de mon vivant, mais bon, je me suis prêté au jeu. La fille qui dirigeait la séance disait ne pas en être à son coup d’essai, alors j’ai tâché de ne pas la décevoir ! J’ai frappé au bon moment, et les réponses que je n’avais pas à leurs questions, je les ai inventées, voilà tout !
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MessageSujet: Re: L'hôpital abandonné.   L'hôpital abandonné. Icon_minitimeLun 30 Oct à 15:20

Une fois aussi, j’ai bien cru qu’on m’avait enfin vu, je ne peux pas vraiment en être sûr, mais je jurerais que oui. Ils étaient toute une bande ce soir là, je dirais même qu’il n’y en a jamais eu autant, en fait. Ils avaient amené des sonos, de l’alcool, et bien sûr de la drogue. Il y en avait à l’intérieur, au rez-de-chaussée, aux étages, aux sous-sols, d’autres dehors sur l’herbe, d’autres encore nus, baignant dans l’étang. Je les ai vus, au plus fort de la soirée, se piquer avec les mêmes seringues que l’on utilise pour les patients, s’injecter les mêmes substances que pour les malades. J’ai du mal à comprendre ce qu’il y a de jouissif à faire ça, car en vérité, ça n’a rien de plaisant d’être drogué lorsque l’on est malade, alors quand on ne l’est pas…
En fait je pense qu’ils étaient malades d’une certaine façon, malades dans leurs vies…
Toujours est il que cette nuit là, je jurerais que l’un d’eux m’a regardé droit dans les yeux et a tenté d’alerter ses camarades de ma présence : « Hé, les gars là, y a un gamin, vous avez vu le gamin ! » Mais bien sûr, les autres étaient dans leurs rêves artificiels et ne l’ont pas écouté, alors il a fini par se désintéresser de moi. Quand j’y pense, ça me rend mélancolique, ça aurait été au moins quelque chose, et puis c’était le premier qui n’avait pas peur !

Mais comme je vous l’ai dit, je n’aime pas ça, faire peur. Je comprends que ça puisse déconcerter, un mort qui marche, mais je vous assure, ça n’a absolument rien d’extraordinaire. J’aspire seulement à un peu de tranquillité et à quelques visites de temps en temps, mais visiblement, c’est trop demandé. Je dois trop souvent me faire respecter à mon goût, me faire respecter moi et mon hôpital, puisque nous ne faisons qu’un. Sans lui je n’existe plus, vous voyez ?
Il n’a rien fait à personne, mais il y a pourtant toujours quelqu’un pour vouloir le détruire. C’est paradoxal, quand on y pense, car cet hôpital, il s’est contenté d’accueillir les gens, les malheureux, les malades comme moi, et les pauvres hères un peu dérangés…Aujourd’hui encore, il abrite les fous, ceux dont les cœurs et les esprits ont été cabossés par les accidents de la vie, et ceux qui veulent s’isoler un peu, tout simplement, rêver l’espace de quelques heures !
Un jour j’ai été obligé de chasser deux hommes qui lui voulaient le plus grand mal. Ils étaient venus avec des bidons d’essence dans la ferme intention de mettre le feu, alors j’ai dû sévir. A grand renfort de pierres, de souffles et de cris, je les ai fait fuir !
Ah on peut dire qu’il cause du souci au vieux, son cher hôpital. C’est pour ça que la châtelaine veut le faire démolir, mais ça, je l’en empêcherai, ah ça oui ! Je n’aime pas faire peur aux gens, mais pour elle, je fais une exception. C’en est devenu un jeu à force. Je fonds sur elle lorsqu’elle approche, je siffle comme un dément, ça énerve ses chiens au plus haut point ! Je passe à travers elle et je peux la sentir frissonner sous ses vêtements, je peux presque sentir la chair de poule que ça lui provoque. Et bien sûr, je ris de bon cœur à chaque fois !

Ca ne va pas l’inciter à plus de clémence envers le vieil édifice me direz-vous ? Mais vous savez, elle a déjà décidé de ce qu’elle allait en faire de ce terrain, ce n’est plus qu’une question d’années maintenant, juste le temps que le vieux s’en aille dans un autre monde lui aussi. C’est pour cela que je dois l’en empêcher, vous voyez ? Cet hôpital, il est peut-être un peu triste à voir, mais c’est la vie du vieux, et c’est ma seconde vie aussi. Ses murs sont très épais ; même quand tout sera tombé : la cloche, les poutres, les tuiles noires comme des plumes de corbeau, il en restera toujours quelque chose. Il est très vieux, alors il survivra bien aux projets de grandeur d’une blonde en cuissardes !
C’est qu’il en a vu d’autres, l’hôpital abandonné, il est plus qu’un hôpital car il est construit sur quelque chose de plus profond, de bien plus ancien, quelque chose qui transcende la mort et la vétusté… Ca ne paye pas de mine, pourtant, ce quelque chose : je ne vous en ai pas encore parlé, mais j’y viens. On peut le voir au pignon du bâtiment, presque incrusté dans la maçonnerie, juste au pied du mur : un tout petit dolmen, pas plus gros qu’une table de cuisine, mais qui ressort tellement de l’ensemble pour qui regarde bien. Il est en parfait état, d’ailleurs, on dirait qu’on l’a posé hier. Et pourtant, il en a vu lui aussi, des gens qui voulaient le détruire. J’ai lu quelque chose là-dessus dans la vieille bibliothèque, ce devait être un bulletin d’archéologie ou quelque chose comme ça. Il y avait plein de mots que je ne connaissais pas, mais j’ai tout de même compris qu’on lui avait voulu du mal à ce dolmen. Plusieurs fois, des saints hommes avaient juré de le mettre à bas, avant de renoncer ou d’en être empêché par quelque évènement heureux ou par l’intervention d’une autorité supérieure. Puis ce sont les architectes de l’hôpital eux-mêmes qui ont voulu en finir, car le dolmen les gênait…Avant de changer brutalement d’avis et de l’intégrer finalement dans la construction. Vous saisissez maintenant ?
Cet endroit est magique, à défaut d’un meilleur mot. Il se suffit à lui-même et il se protège tout seul, je ne fais que l’y aider un petit peu. En fait, je crois que je suis ici que parce qu’il le veut bien, je l’aide à se préserver vous comprenez ? Et lui me protège de la mort, de ce que les vivants vous redoutez tous : le grand saut vers l’inconnu, vers la damnation peut-être ? Allez savoir…
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MessageSujet: Re: L'hôpital abandonné.   L'hôpital abandonné. Icon_minitimeLun 30 Oct à 15:21

En tout cas ce dolmen en rajoute au mystère de l’endroit : ceux qui le connaissent y reviennent toujours. Du temps où j’étais soigné ici, certains pensionnaires pouvaient rester devant pendant des heures. Je me rappelle d’une vieille dame qui avait piqué du nez dans son assiette un beau matin et dont on disait que c’était sans espoir. Elle avait dormi toute une journée dans sa chambre, mais le lendemain matin, elle avait été retrouvée allongée sur la pierre de table, un sourire béat aux lèvres. Elle était partie en souriant, et bien sûr, son histoire avait circulé dans tout l’hôpital.
Je me souviens aussi après ma mort, de la venue de ces jeunes. Ils ont tourné autour du bâtiment, exploré ses moindres recoins, puis ils se sont longuement attardés devant la pierre. Ils ont échangé tout un tas de paroles et dessiné toutes sortes de croquis. Ce jour là, c’est le vieux qui les a surpris…
Il leur a parlé longuement de son hôpital, la passion se sentait dans ses propos, puis il leur a confié, non sans amertume, le projet de démolition de sa chère épouse. J’ai vu qu’il en avait les larmes aux yeux et ça m’a fendu le cœur. Puis il a raccompagné ses visiteurs clandestins en leur faisant promettre de ne pas réessayer d’entrer, sous prétexte qu’il serait responsable s’ils se blessaient dans les escaliers, à cause du plafond qui tombe ou encore s’ils se prenaient les pieds sur une planche à clous. Sauf qu’un édifice comme celui là ne s’écroule pas comme un château de sable : C’est de l’architecture dix-neuvième tout de même ! Non, le vieux a peur de sa femme, ça ne fait pas le moindre doute. Je ne sais pas ce qu’il lui trouve d’ailleurs, car je doute qu’elle soit assez patiente pour bien s’occuper d’un vieil homme nostalgique. Le sexe peut-être, allez savoir, moi je ne vois que ça, c’est tellement cruel la peur de vieillir, vous savez !

A tout âge les vivants recherchent ce genre de sensations, l’étreinte, la caresse de l’autre. Il faut dire que j’en ai vu passer des couples ici, le vieil hôpital, c’est aussi le lieu des premiers émois ! La première fois, ça c’est passé juste sur le dolmen et ça m’a déconcerté. Je ne suis qu’un enfant, je n’ai jamais ressenti ça, c’est tellement étrange à regarder. Etrange, mais pas forcément déplaisant. Maintenant je n’y fais même plus attention tellement c’est habituel.
C’est le dolmen, vous voyez ? Il appelle ce genre de choses ; il est là, indestructible, si petit, si discret, mais si présent. Autour de lui se nouent les passions, il est la clé de toutes les forces qui régissent cet endroit, en quarante-deux ans de réflexion, j’en suis venu à cette conclusion. Ce n’est pas un hasard s’il est là, et c’est encore moins un hasard si des hommes ont voulu construire ici, en pleine campagne, un si fantastique hôpital. Il est comme une clé entre ce monde de matière où je suis mort et ce monde d’émotions et d’invisible où je survis. En fait de table de pierre, je pense c’est une porte, une lucarne, un soupirail vers « autre chose » que je ne peux moi-même que deviner, entre apercevoir entre deux intrusions et de longs moments de solitude. Alors pour sûr, s’il est si puissant, il survivra sans doute possible à une châtelaine sans titre ni terre. Quand bien même les boulets mécaniques et les bulldozers auront mis à bas le vieil hôpital, il restera, pour des siècles encore. Jusqu’à la fin des temps, il sera là, oui je l’espère…

Si je vous en parle, c’est que je ne suis plus sûr de rien maintenant. Une fois le vieux disparu, qui sait ce qui se passera vraiment ? On ne détruit pas les dolmens, je crois, mais j’ai peur du coup de pelle malheureux, de la négligence des démolisseurs, de la chute de gravats qui pourrait fendre la table de pierre ! Oui j’ai peur…
Je survis grâce à elle, depuis des décennies, elle me retient ici, elle m’empêche de glisser vers cet « autre chose » que je ne connais pas et qui me terrifie. Oui tout comme vous, j’ai peur de cet inconnu, j’ai peur de la mort…
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